Le témoignage de Philippine sur son anorexie

31/5/2022
entraide santé mentale
Edouard Bidault
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Chez Mosaik, nous donnons la parole aux personnes qui ont ou ont eu des difficultés psychologiques pour que leur expérience bénéficie au plus grand nombre.

Philippine, étudiante de 23 ans, a connu l'anorexie puis la boulimie, avant de s'en sortir. Depuis, elle a décidé de devenir pair-aidante, pour aider et accompagner ceux qui vivent les mêmes difficultés qu'elle.
Elle véhicule ainsi un message d'empathie et d'espoir, un message à tous ceux qui souffrent : vous n'êtes pas seul(e).

Mosaik : Bonjour Philippine, merci de témoigner sur ton anorexie. Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Philippine : Je m’appelle Philippine, j’ai 23 ans, je suis pair-aidante et je suis aussi étudiante en santé. Ce que j'aime faire dans la vie c'est écrire et j'aime beaucoup partager mon expérience comme je suis en train de le faire ici.

Mosaik : Est-ce que tu peux nous raconter comment ta maladie mentale est apparue et quels ont été les premiers symptômes ?

Philippine : J'ai connu d'abord l'anorexie et ça s’est exprimé par un régime, j'ai commencé à réduire mes quantités et réduire ce que je mangeais mais aussi la qualité: je supprimais certaines catégories d'aliments. Il n’y a pas eu de comportement compensatoire à ce moment-là, c’est venu bien après et j'ai commencé à perdre du poids comme ça. Ça a entraîné plus tard une première hospitalisation et c'est comme ça que je suis rentré dans mon parcours de soins. C'était en 2013 et ma première hospitalisation a eu lieu en 2014.

Mosaik : Est-ce que c'est ce changement de comportement par rapport à la nourriture, est arrivé après un événement particulier ? Qu'est-ce qui selon toi a été le déclencheur ?

Philippine : J'étais très triste à cette époque, j’étais en terminale, et j'étais vraiment dans le flou par rapport à mes études. Je ne savais pas trop quoi faire. J'avais une idée mais je n’étais pas sûr d'être prise dans la prépa que je voulais et ça m'a énormément stressé. J'ai eu des événements dans mon passé qui m'ont un peu bouleversée mais ça je ne l'ai compris que plus tard.

Mosaik : Sur le moment tu n’as pas fait le lien.

Philippine : Non, sur le moment je n’ai pas vraiment fait le lien. Je voulais juste me réapproprier mon corps, mais sans trop savoir pourquoi.

Mosaik : Et à cette époque, à quoi ressemblait ton quotidien ? Comment tu te sentais tous les jours ?

Philippine : Je me sentais super triste. Je ne me sentais pas écoutée parce que tout le monde voyait qu’il y avait un souci dans mon comportement alimentaire mais personne ne regardait ma douleur et ma douleur morale. Je me sentais incomprise. Plus je perdais du poids, plus je me sentais faible, plus je me sentais ralentie. Tout ce que je devais faire demandait vraiment des efforts inimaginables. Rien que monter les escaliers par exemple était un enfer, chaque chose devenait un enfer.

Mosaik : Beaucoup de malades qui souffrent d'anorexie parlent d’un sentiment de jouissance, dans le contrôle de son corps. Est-ce que tu ressentais ça toi aussi ?

Philippine : J'ai ressenti ce sentiment de contrôle mais j'étais tellement triste au départ que je n’ai pas eu cette espèce de phase qu'on appelle un peu la lune de miel, où on est un peu excité de perdre ses premiers kilos. Je ne l’ai vraiment pas eu parce que moi je me sentais tellement triste et déprimée que je n’ai pas eu cet effet. C'est pour ça que l'hospitalisation est venue  à un moment comme une libération, je me disais « Enfin on va prendre en charge ma douleur et enfin on va m'aider ».

Mosaik : Est-ce que tu as témoigné de ton anorexie à des proches avant ta première hospitalisation ou des gens autour de toi ? Et quelle a été leur réaction ?

Philippine : Je n'en ai pas vraiment parlé, ils ont vu qu’il y avait un problème, mais je ne disais pas que ça allait mal. Je ne disais pas que j’étais triste. Je ne disais pas que j’étais déprimée. Je ne disais pas que j'avais des idées noires. J’étais vraiment renfermée et je contrôlais vraiment ce que je disais aux autres, je ne voulais pas me livrer aux autres parce que je pensais que j'étais faible. Je pensais que je ne méritais pas d'être heureuse et que je ne méritais pas de vivre finalement. C’était un peu compliqué de me livrer et d'en parler.

Mosaik : C'était simplement des remarques par rapport au changement sur ton physique ?

Philippine : Oui il y a eu beaucoup de remarques sur mon physique, sur mon alimentation. Beaucoup d'inquiétudes aussi. C’était très compliqué à gérer.

Mosaik : Suite à cette première hospitalisation, qu'est-ce qui s'est passé ?

Philippine : Suite à cette première hospitalisation, j'ai repris du poids mais sauf ça n’a pas réglé mes soucis. Tout le monde pensait que ça allait aller mieux, sauf que j'ai commencé à perdre le contrôle sur mon alimentation et c'est là qu’est apparue la boulimie. J'ai commencé mes premières crises de boulimie après cette première hospitalisation. Il m'a fallu beaucoup de temps pour avoir un vrai déclic. Je n'aime pas trop ce terme parce que déclic, j'ai l'impression que c'est quelque chose d'extérieur qui arrive et qui permet le changement en soi alors que moi j'ai vraiment dû me forcer pour changer les choses qui se passaient en moi. Tout cet état d'esprit, j'ai dû moi-même mettre en place des choses, pour aller mieux. Ce n’est pas tombé du ciel en fait.

Mosaik : Après la première hospitalisation et les symptômes de boulimie, est-ce qu’il y a eu d'autres hospitalisations ?

Philippine : il y en a eu d'autres, beaucoup d'autres et ça a été très compliqué de m'en sortir. Je suis pas mal têtue, je me disais que j’allais y arriver toute seule. Je me faisais hospitaliser mais je n'étais pas très conciliante et je ne parlais pas trop avec les soignants, j'étais juste là pour reprendre du poids. Je reprenais mon poids, je sortais et les mêmes problèmes revenaient. Je ne réglais pas le problème de fond.

Mosaik : C’était vraiment juste en rapport avec ton alimentation : vu que tu mangeais, on avait l'impression que tu allais mieux alors qu'au fond il y avait beaucoup de choses à régler sur ton trouble de l'alimentation ?

Philippine : Oui c'est ça, une hospitalisation c’est bien pour gérer la crise mais après le traitement de fond, ça prend du temps et on ne peut pas hospitaliser des gens pendant 3 ans non stop. Il y a une grande partie du traitement de fond qui est réalisé en ambulatoire et c'est normal.

Mosaik : Est-ce que tu étais suivie par quelqu'un à l'extérieur ? Un professionnel de la santé mentale peut-être ?

Philippine : J’étais souvent suivie par une psychiatre. La psychologue, c'était seulement pendant les hospitalisations un temps. J’étais également suivie par un professionnel plus pour le somatique, un endocrinologue. Après les hospitalisations, je continuais le suivi psychiatre - endocrinologue. Puis j’arrêtais souvent le suivi avec l'endocrinologue parce que je pensais que ça allait mieux étant donné mon poids. Ce qu'il ne faut pas faire bien sûr. C'est très contraignant d'avoir deux rendez-vous par semaine ou deux rendez-vous ou trois par mois, c'est beaucoup d'organisation et je comprends que ce soit difficile mais je pense que ça en vaut la peine.

Mosaik : Aujourd'hui, est-ce que tu considères que tu as remonté la pente ?

Philippine : J'ai remonté la pente. On parle souvent de guérison dans le trouble des comportements alimentaires (TCA), et je ne m'estime pas guérie, je pense que je suis sur la voie du rétablissement. C'est-à-dire que j'ai des choses encore à travailler, je suis encore très perfectionniste, et parfois ça me bouffe un peu. Mais mon alimentation n'est plus un problème. Manger ne m'empêche plus de vivre, ça ne me prend pas toute mes journées, je ne fais plus de crise de boulimie, je ne me restreins plus. En tout cas les pensées anorexique des fois existent mais c'est ok qu'elles soient là. Elles ne prennent pas toute la place dans ma journée, je peux faire d'autre chose, j’ai une vie sociale, j'ai une vie étudiante.

Mosaik : Tu sais comment réagir et y faire face et ne pas tomber dans la rechute.

Philippine : J'ai compris mon fonctionnement, j'ai compris les signes précurseurs d'une rechute et je sais quand est-ce que je dois me prendre en charge, comment me prendre en charge et je pense surtout que je mérite d'aller mieux et que je mérite le bonheur comme tout un chacun.

Mosaik : Est-ce que tu as des petits trucs que tu mets en place quand tu sens que tu commences à aller un peu moins bien ? Qu’est-ce qui fonctionne pour toi ?

Philippine : Il y a un petit outil que j'aime beaucoup mais qui est difficile à expliquer rapidement, c'est la matrice ACT. J’utilise la matrice ACT quand j'ai un choix à faire et je ne sais pas si ce choix va m'éloigner de mes valeurs ou me rapprocher de mes valeurs. J'aime beaucoup cet outil. Sinon, si j'ai des difficultés alimentaires, j’appelle ma diététicienne ou j'appelle quelqu'un qui peut m'aider avec ça.

Mosaik : C'est un gros travail sur tes pensées pour essayer de les accueillir et d’y faire face ?

Philippine : C’est ça et j'accepte que parfois tout n’est pas rose, et que la vie c'est des hauts et des bas, et oui, mon mal-être s'exprime comme ça et pour le moment il n’y a pas de soucis avec ça.

Mosaik : Dans la présentation que tu as faite tout à l'heure, tu nous a parlé de pair-aidance. Est-ce que tu peux nous parler un peu plus de ce concept ?

Philippine : La pair-aidance c’est le fait de souffrir d’un trouble ou d’une maladie psychique, s’en rétablir ou d’être sur la voie du rétablissement et ensuite se former pour aider les autres qui vivent les mêmes difficultés. J’ai vécu les troubles du comportement alimentaire, je me suis formée pour essayer d'accompagner les personnes qui en souffrent. Actuellement, je co-anime des groupes au CHU, au centre hospitalo-universitaire, où je partage mon expérience de personne vivant avec la maladie et surtout de personne qui va mieux. Je partage mon expérience et j'espère que ça apporte de l'espoir aux personnes en difficulté. C’est ce que vous faites avec ce podcast, ces témoignages, vous laissez la parole aux personnes concernées pour apporter de l'espoir. C'est ça que je trouve très beau.

Mosaik : C'est ce qu'on essaie de faire et en l'occurrence, aujourd'hui grâce à toi. Quels conseils pourrais-tu donner aux personnes qui traversent ou qui ont traversé les mêmes difficultés psychologiques ?

Philippine : Je pense que le principal, c'est surtout de se faire aider. Le fait de se faire aider ça peut être par l'entourage mais souvent l'entourage est dépassé, n’a pas les bonnes attitudes. Le mieux c'est de se faire entourer par des professionnels et c'est bien de se faire aider, mais il faut aussi penser que vous êtes légitime à vous faire aider. Dès qu’il y a souffrance psychologique, il y a légitimité à demander de l'aide, et c’est ça qui est très important, j'ai vraiment refusé l’aide, je la prenais parce qu'au début j'étais mineure et donc je n'avais pas le choix. Mais quand je me suis accroché au fait que j'avais le droit d'être heureuse, ça a tout changé. Je pense que dès que j'ai commencé à faire le tri dans mon entourage, j'ai commencé à me dire “Tu mérites d'être heureuse comme les autres”, ça a changé la donne.

Mosaik : Je te remercie Philippine pour ta disponibilité et surtout pour ce message plein d'espoirs. Merci d'avoir accepté de témoigner sur ton anorexie.

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